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Entretien avec Mathéo Jacquemoud – La passion du ski-alpinisme


Il a choisi de vivre ses rêves plutôt que de rêver sa vie. Mathéo Jacquemoud a 23 ans, il vit à Saint-Nicolas de Véroce en Haute-Savoie, il est sportif de haut niveau depuis sept ans, membre de l’équipe de France de ski-alpinisme, mais aussi l’un des plus grands skieurs du monde.

Mathéo a notamment réalisé une saison 2013 exceptionnelle, quadruple champion du monde de ski-alpinisme, premier au classement général de la coupe du monde individuel, vainqueur de la Pierra Menta et second à la Mezzalama.

Une forte passion de la compétition l’anime, depuis toujours. Une compétition saine, où il alterne les coups de génie et les coups de bluff, la stratégie et la tactique. Il nous confie cependant qu’il lui arrive, une fois dans la saison, de survoler une épreuve. C’est avec beaucoup de simplicité et de sincérité qu’il nous fait part de ce sentiment d’invincibilité qui l’anime alors, de cette force qui semble venir d’ailleurs, comme cela a été le cas lors de l’édition 2013 de la Pierra Menta.

Avant d’être un sportif de haut niveau, Mathéo est un montagnard. Une montagne qu’il porte haut dans son coeur depuis tout petit, et dans laquelle il a grandi, préservé du tumulte de la ville. Aspirant guide en formation, il devrait réaliser son rêve de devenir guide de haute montagne l’année prochaine.

Rencontre avec un alpiniste humble et discret, rencontre avec un champion qui aime partager sa passion, rencontre avec Mathéo Jacquemoud.

Photo Mathéo

Quel est le parcours qui vous a conduit au ski-alpinisme et au sport de haut niveau ?

J’ai vécu toute mon enfance et mon adolescence dans un petit village de montagne, Lus la Croix Haute.  Depuis tout petit, je suis passionné par la montagne et les sports outdoor.  J’ai grandi dans un environnement familial qui m’a transmis la passion de la montagne, même si mes parents n’exerçaient pas une profession qui y soit liée.

Tout petit, je faisais déjà des randos de 1000 m D+. J’ai appris à skier à 2 ans.  A 7 ans, je faisais mes premières randos à ski.  A 8 ans, j’ai commencé l’alpinisme et l’escalade. A 9 ans, j’ai fait ma première course, la traversée du Pelvoux. A 10 ans, j’ai traversé les Dômes de Miage. A 12 ans, j’ai fait l’ascension de l’arête de Coste Rouge et la traversée de la Meije en premier de cordée.

Je fais de la compétition depuis mon plus jeune âge.  J’ai fait 9 ans de ski alpin en compétition, de 6 à 15 ans.  J’ai fait 4 ans de VTT en compétition, de 14 à 18 ans.

J’ai toujours pratiqué des sports d’endurance et comme j’aime aussi la montagne, je me suis naturellement tourné un jour vers le ski de rando. J’ai commencé le ski-alpinisme en compétition à 15 ans.

Jaquette filmath 2013 Pierra Menta

Quelle est l’épreuve de ski-alpinisme qui vous a le plus marqué ?

La Pierra-Menta en 2013. C’est exceptionnel, hallucinant ce qui s’est passé.  Avec William Bon Mardion, nous avons survolé cette course. Nous avions beaucoup d’avance sur nos adversaires. Ma forme était excellente, tout était facile. Avec William, nous savions à l’avance que nous allions gagner. Nous avions déjà reconnu le parcours trente fois, il suffisait juste de le refaire le jour de l’épreuve.  Il pouvait nous arriver n’importe quoi, cela ne nous aurait pas ébranlé. Nous n’avions aucune pression. La veille, nous avons fait une sortie en montagne tous les deux comme si nous ne devions pas courir la Pierra Menta le lendemain. Tout sportif de haut niveau recherche ce type de sensations une fois dans la saison.

J’ai aussi apprécié d’avoir partagé cette course avec William. Nous nous entendons très bien même s’il a quelques années de plus que moi. Nous parlons rarement de ski ensemble. Nous nous connaissons parfaitement.  Nous avons le même état d’esprit, la même motivation, la même approche de la discipline.

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Quel type d’épreuve de ski-alpinisme préférez-vous, sprint, vertical race, individuelle ou par équipe ?

Je préfère les épreuves individuelles, parce qu’il y a des montées, des descentes, des manips. C’est la performance pure qui est prise en compte dans ce type d’épreuves.

J’aime bien aussi les épreuves par équipe. Elles peuvent être par étape comme la Pierra Menta ou bien sur une journée comme la Mezzalama ou la Patrouille des Glaciers.  J’aime le partage et les émotions, l’osmose avec le coéquipier.

 Photo Matheo Pierra Menta 2013

Quelle est l’épreuve de ski-alpinisme que vous trouvez la plus difficile ?

Il n’y en a pas.  Une course est difficile selon ce qu’on y met, sa préparation, son mental, son état de forme.  Une course de 20 minutes peut être plus difficile qu’une course de 3 heures.

Etes-vous déjà passé à côté d’une épreuve et cela vous a-t-il conduit à douter ou à remettre en cause votre pratique ?

Non.  Je n’ai pas réussi toutes les épreuves auxquelles j’ai participé, mais je ne me suis jamais remis en question, je n’ai jamais douté à cause d’un échec.  Je me concentre alors rapidement sur mes prochains objectifs.

Photo Matheo Courchevel

Vous participez parfois à des compétitions de trail, par exemple le Marathon du Mont-Blanc puis le Courchevel Xtrail en 2013.  Aimez-vous le trail ? Et pourriez-vous participer à des ultra-trails ?

Je trouve que le trail est trop monotone. J’aime les épreuves de ski-alpinisme car la neige n’est jamais la même, il faut faire des manips, des conversions, il y a des montées, des descentes, etc.

Au bout de 4 heures de trail, je m’ennuie.  Le trail long ne m’attire pas.  Par contre, je peux faire 20 heures de ski d’affilée sans problème.  Je fais souvent des courses de 25 heures.

Je cours de temps à temps, surtout l’été, pour préparer ma saison d’hiver. Mais je ne me suis jamais préparé et entraîné pour une épreuve de trail. Parfois, je mets un dossard, mais c’est juste pour le plaisir.  Je prends la décision la veille de la course.

Le Marathon du Mont-Blanc ne m’a pas du tout plu. J’ai trouvé cela trop roulant. Par contre, je me suis régalé sur le Courchevel Xtrail. Je verrais en août prochain, la veille de l’épreuve, si j’ai envie d’y participer à nouveau !

Quel est votre entraînement type ?

D’octobre à mai, je pratique le ski sur la base d’un programme établi par mon entraîneur, Thierry Galindo. Il prépare ce programme en fonction de la météo, de mon état de forme, etc. Il tient compte également du degré de liberté dont j’ai besoin. Si un jour, je ne fais que 2 h 30 au lieu des 3 h prévu, ce n’est pas un problème.  C’est impossible de respecter un programme à la lettre. Il peut m’arriver aussi de rentrer au bout de 15 minutes car je ne suis pas bien.

En mai, généralement, je me repose.

En été, je n’ai pas de programme spécifique, je fais de l’alpinisme, de l’escalade, du vélo, de la course à pied. Je suis un alpiniste à la base, un montagnard avant d’être un sportif de haut niveau.  Par conséquent, je sors quand j’en ai envie ; je ne m’oblige pas à respecter un programme.

A la fin de l’été, au début de l’automne, je fais moins de vélo. Je fais du ski-roue à la place.

Je dois aussi faire un peu de renforcement musculaire.  Je ne fais pas d’exercices en salle ; l’escalade et les sorties en montagne avec un gros sac suffisent.

Pour vous donner une idée du volume, je fais environ 1000 heures de ski dans la saison et 600 000 m D+ tout sport confondu (hors alpinisme).

 Photo Matheo Dynafit

La préparation mentale fait partie intégrante de votre pratique du sport, vous suivez à ce titre des séances d’hypnose.  Qu’est ce que cela vous apporte ?

J’ai commencé l’hypnose la saison dernière.  J’en fais, en général, une fois par mois.  Ceci étant, c’est variable, je peux en faire plus souvent si j’ai un souci quelconque, comme en début d’année par exemple, où  j’ai dû suivre trois séances d’hypnose par semaine.

Ces séances me permettent d’avoir davantage confiance en moi de façon à bien réussir mes départs de course qui étaient mon point faible. Grâce à la préparation mentale, je suis sûr de moi la veille d’une épreuve, je me sens bien, j’imagine bien la course.  Par exemple, deux jours avant la dernière coupe du monde, je savais que j’allais gagner, je me le répétais sans cesse, de sorte que le jour J, j’avais juste à refaire le parcours que j’avais déjà reconnu des dizaines de fois. Je pense que j’ai toujours eu cet état d’esprit de gagnant, ce n’est pas seulement le fruit du travail de préparation mentale. L’hypnose a révélé ce que j’avais déjà en moi.

Vous êtes capable de grimper très vite sur les plus hauts sommets, à pied, à skis et avec le minimum de matériel.  Au mois de mai dernier par exemple, vous battez le record de vitesse aller-retour de l’église de Chamonix au Mont-Blanc en ski, record précédemment détenu par Stéphane Brosse.  Pensez-vous, avec Kilian Jornet, révolutionner l’alpinisme ?

Non.  La vitesse a toujours existé, mais les médias commencent seulement à s’y intéresser et à en parler.  Je suis convaincu que la vitesse est un gage de sécurité, car lorsqu’on va vite, on limite l’exposition au danger.  J’aime être rapide en montagne ; faire vite et bien.  Je passe moins de temps en montagne mais je prend autant de plaisir que dans une ascension classique, je profite de pleins de choses.  Je vois le sommet du Mont-Blanc depuis ma chambre.  Lorsque la météo est bonne, je pars à 8 heures et je suis rentré à 14 heures. Pour moi, aller vite me semble normal, c’est mon quotidien, mon environnement, j’ai toujours connu cela.  C’est la même chose pour Kilian.  D’ailleurs, nous n’avons pas l’impression d’aller vite.  Au contraire, souvent nous avons l’impression d’aller à 2 km/h !  Faire un record n’est pas ma motivation principale.  Ceci étant, comme j’ai une montre et un GPS, je peux voir mon temps et parfois, il s’avère qu’un record tombe.

Je suis en sécurité car j’ai suffisamment de marge au plan technique. Je sais ce que je fais, je suis très réfléchi. Je pense que c’est le fruit de nombreuses heures passées en montagne.  A 15 ans, j’avais déjà réalisé toutes les courses que l’on doit avoir faite pour pouvoir être aspirant-guide.

 Photo Matheo Barre des Ecrins

Que pensez-vous de l’engouement très fort de néophytes pour des sommets comme le Mont-Blanc ou l’Everest ?

Ils ont certainement une motivation. Mais, je pense qu’ils souhaitent surtout faire le Mont-Blanc pour le Mont-Blanc.  C’est dommage cette obstination pour le Mont-Blanc alors qu’il y a pleins d’autres sommets fabuleux qui peuvent être atteint lors de courses d’initiation.  Les lumières sont différentes tout au long de la journée et en fonction des lieux où on se trouve ; ce sont ces lumières qui rendent la montagne belle.  Les personnes peu expérimentées en matière d’alpinisme galérent pour atteindre le Mont-Blanc. Elles n’ont pas la marge technique suffisante pour en profiter et se faire plaisir.

Quand j’ai des clients qui me demandent le Mont-Blanc, je refuse 9 fois sur 10. Il faut oublier la société de consommation en montagne. Ce qui me plaît dans le métier de guide, ce n’est pas de guider des clients une seule fois et de ne plus les revoir ensuite parce qu’ils auront été en difficulté et qu’ils ne voudront plus entendre parler d’alpinisme mais de les suivre, de voir leur niveau évoluer au fil des courses.  Je veux que mes clients découvrent d’abord une montagne sauvage, qu’ils se passionnent pour la montagne. Puis, un jour, ils partiront faire des classiques. Et plus tard, j’aimerais, pourquoi pas, qu’ils puissent me guider sur des classiques plus engagées.

Photo Matheo 2

Avez-vous des modèles ?

Je n’ai jamais eu de modèle.  Je n’avais pas non plus de poster d’idole affiché dans ma chambre d’enfant !

Je respecte tous les sports. Ceci étant, je sais la quantité de travail qu’il faut produire pour arriver au top niveau.  Aucun sportif ne m’impressionne donc.   Mais, c’est valable dans tous les domaines. Quand on parvient à entrer dans un milieu, on est moins impressionné par ceux qui y sont aussi. 

Quels sont vos objectifs pour 2014 ?

En termes de compétitions : la coupe du monde, le championnat d’Europe, la Pierra Menta, le Tour du Rutor, la Patrouille des Glaciers.

Je vais également faire plus de montagne, d’alpinisme.

J’ai d’autres objectifs en tête, des idées d’enchaînements mais je n’en ai parlé qu’à mes proches, pour l’instant.

A suivre…

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