« Homme libre, toujours tu chériras la mer ! ». Olivier Pitras est un homme libre, porté par sa passion pour la voile.
Il quitte la France à 23 ans pour sillonner les mers du globe.
A 30 ans, au cours d’une expédition en Terre de Feu, il prend conscience que les étendues et les déserts glacés sont les paysages qui l’inspirent le plus.
Sa passion conjuguée de la mer, de la montagne et des espaces vierges le conduit alors naturellement vers les régions polaires.
Il est le premier skipper français à avoir franchi, en 1999, le Passage du Nord-Ouest à la voile.
À l’occasion de la quatrième année polaire internationale, il effectue en 2008-2009 le tour de l’Amérique du Nord à la voile en traversant à nouveau le mythique Passage du Nord-Ouest. Ce périple de 21 687 milles nautiques (40 164 kilomètres) à bord d’Ocean Search a vu, en 21 étapes, se succéder une centaine d’équipiers qui, outre la navigation, se sont livrés à plus de cent interviews de spécialistes de la question du changement climatique.
En septembre 2011, il monte l’expédition North East Greenland n° B-10-11 pour pénétrer dans une zone où certains endroits ne sont même pas hydrographiés.
Tour à tour en Patagonie, Terre de Feu, Alaska, Canada, Sibérie, Groenland, il a désormais son port d’attache au nord du cercle polaire, à Tromsø, en Norvège. C’est de là qu’il part chaque année, sept mois durant, pour le Cap Nord, les îles Lofoten, le Spitzberg et le Groenland à bord de son voilier Southern Star, un sloop en aluminium de 24 mètres.
Rencontre avec un citoyen du monde, un homme de défis, un marin accompli, passionné, curieux et généreux, rencontre avec Olivier Pitras.
Comment vous est venue votre passion pour les régions polaires ?
C’est très difficile de répondre à cette question.
Je suis passionné depuis longtemps par la mer, par la montagne, par les voyages et par la vie à bord d’un voilier. On retrouve tous ces éléments lorsqu’on vit dans les régions polaires.
J’ai quitté la France à 23 ans après avoir obtenu mes diplômes d’éducateur sportif et de guide en haute mer. J’étais alors passionné de voile et de voyages et je rêvais de vivre dans un voilier. Je devais vérifier sur le terrain si j’étais vraiment bien sur l’eau et si mon rêve de vivre sur l’eau pouvait devenir réalité. J’ai navigué le long des côtes de l’Amérique du Sud. Je m’étais lancé le défi de passer le Cap Horn sur mon propre bateau avant 30 ans. Et j’ai réussi.
C’est à cette époque-là que j’ai découvert les glaciers. J’ai vécu en Patagonie pendant deux ans. Ce fut une révélation. J’ai alors pris conscience que les paysages de glace m’inspiraient beaucoup. Mais je ne saurai pas dire pourquoi ces paysages m’attirent plus que d’autres. Je n’ai ensuite plus quitté ces régions glacées. Je suis parti vivre et naviguer pendant huit ans en Alaska. Et cela fait quatorze ans que je suis basé à Tromsø et que je navigue le long des côtes du Spitzberg, de la Norvège, du Groenland.
J’ai réalisé plus tard que je devais aussi cette passion pour les régions polaires à l’un de mes anciens professeurs qui m’enseignait la navigation lorsque j’avais 18 ans. Il avait déjà hiverné en Arctique dans des vieux gréements en bois. En effet, à cette époque, on ne faisait pas confiance à l’acier pour les expéditions dans les milieux polaires !
Quels souvenirs gardez-vous de votre première traversée du Passage du Nord-Ouest de juillet à octobre 1999 ?
A cette époque-là, je voulais franchir le Passage du Nord-Est. C’est lorsque j’étais en Patagonie que je me suis lancé le défi de franchir un Passage. Je pensais alors au Nord-Est. Le Nord-Est, contrairement au Nord-Ouest, n’avait jamais été franchi par un voilier. Je voulais faire une première afin d’intéresser davantage les sponsors.
J’avais loué un voilier, Ocean Search, pour 1 dollar symbolique ! Il appartenait à des personnes âgées issues du Pays de Galles qui avaient immigré à l’Est des Rocheuses canadiennes. Ils faisaient de l’élevage. Leur rêve était de naviguer, mais ils habitaient loin de la mer. A 70 ans, ils ont décidé de vivre leur rêve. Ils ont fait construire un bateau, Ocean Search, en Afrique du Sud, qu’ils ont ramené en Colombie britannique. Je les ai rencontrés en Alaska. Ils avaient la flamme de la passion dans les yeux. Ces gens étaient exceptionnels. Le vieil homme était condamné et m’a dit : “J’ai fait ce bateau pour l’Arctique. Je ne pourrai pas l’utiliser. Vas y, utilises-le, je te le prête.” Grâce à cette rencontre, j’ai pu avoir un bateau alors que je n’avais pas de sponsors.
J’ai préparé l’expédition pendant deux années. Je devais me préparer à naviguer au cœur du pack. C’est beaucoup moins compliqué aujourd’hui, car il y a moins de glace. Il ne serait pas nécessaire pour un navigateur aujourd’hui de se préparer autant que j’ai pu le faire. Lorsque j’étais en Alaska, je sortais en pleine nuit sur les glaciers maritimes avec le bateau afin d’habituer ma vue à faire la différence entre les écumes et les morceaux de glace, car je savais qu’en fin de Passage, il ferait nuit. Les gens me prenaient pour un fou.
Il y a eu beaucoup de rebondissements avant cette traversée. A l’origine, nous devions être quatre. Nous n’étions au final plus que deux. Fin juin 1999, nous avons quitté la Colombie britannique où était amarré Ocean Search et avons navigué jusqu’en Russie. Après trois semaines d’attente, nous comprenons que nous ne parviendrons pas à obtenir les autorisations administratives russes pour naviguer dans le Nord Sibérien. Les russes nous proposaient d’hiverner ! Or, nous avions envie d’en découdre. J’ai alors décidé de changer d’itinéraire : ce sera le Passage du Nord-Ouest. Comme nous étions à Bering, c’était facile de changer d’itinéraire à la dernière minute ! Nous avons traversé le détroit de Béring sous de forts vents contraires. Comme je n’avais jamais navigué dans les glaces, j’ai appris quasiment tout sur le terrain au fur et à mesure de la traversée. La progression à travers le pack qui craque n’était pas évidente et menaçait à tout moment de broyer le navire. Les hauts fonds ont fait échouer le navire à deux reprises. Les manœuvres étaient extrêmement délicates à travers les blocs de glace et le moindre retard aurait pu entraîner un hivernage forcé.
J’étais très content d’avoir accompli cette traversée. Sportivement, et sur le plan de la navigation pure, j’étais comblé, car cette traversée est plus difficile techniquement que le Passage du Nord-Est. Le Passage du Nord-Est m’aurait par contre davantage servi pour me faire connaître de sponsors potentiels et pour lancer ma carrière.
Avez-vous déjà navigué le long des côtes de l’Antarctique ?
Non. Ce serait compliqué avec le même voilier. Je pourrais tout à fait naviguer jusqu’aux côtes de l’Antarctique, mais cela nécessiterait que je sois sur l’eau toute l’année. Or, j’ai un point d’attache à Tromsø où je vis avec ma compagne.
J’ai déjà traversé le Drake lorsque j’étais en Patagonie. Malheureusement, mon coéquipier étant souffrant, nous n’avons pas pu aller jusqu’à la Péninsule. Nous nous sommes arrêtés à l’île de la Déception.
Si je devais monter un projet en Antarctique, ce serait pour découvrir l’intérieur des terres. C’est un continent qui se prête davantage à l’exploration terrestre que maritime.
Il y a un peu plus d’un an, j’ai travaillé pour un cabinet d’architecture navale, Van Peteghem Lauriot Prevost, à la conception de véhicules terrestres hybrides pour ravitailler les bases scientifiques en Antarctique afin de proposer une alternative aux Caterpillars et dameuses qui sont très pollueurs, comme ceux qui sont utilisés entre les bases Dumont d’Urville et Concordia.
Quelle est l’expédition qui vous a le plus marqué ?
Sans hésitation, sur le plan personnel et sportif, le Passage du Nord-Ouest en 1999. Je me suis rendu compte que l’homme peut vraiment repousser ses limites très loin.
J’ai particulièrement apprécié aussi le tour de l’Amérique du Nord en 2008-2009 durant lequel j’ai à nouveau franchi le Passage du Nord-Ouest. Cette expédition était très riche sur le plan humain. Plus de cent équipiers se sont relayés sur le voilier. Nous avons rencontré de nombreux scientifiques et des personnes qui vivent en Arctique. L’objectif était de mener une enquête de terrain sur le changement climatique. La pertinence des thèmes abordés a été validée par un comité de scientifiques que nous avions monté. Nous n’avions pas de sponsors financiers afin d’être indépendant quant à notre ligne éditoriale. Nous avons ainsi donné la parole à des peuples qui généralement ne l’ont pas afin de donner une autre image du changement climatique que celle que l’on veut bien nous montrer en France. Par exemple, des Groenlandais nous ont indiqué qu’ils préfèreraient qu’il y ait moins de glace car cela permet aux plantes de pousser dans les fjords. Nous étions donc loin de ce qu’on entend habituellement sur les grands médias. C’était extrêmement enrichissant. Les gens ont donné beaucoup de leur temps pour ce projet.
Quels sont les changements dont vous avez été témoin en Arctique au cours des vingt dernières années ?
C’est la première région touchée par les changements climatiques.
En Norvège, par exemple, on peut constater des entrées d’air maritime plus fréquentes, des vents du Sud et des montées de températures au-dessus de 0°C en plein hiver. Aujourd’hui, il fait 5°- 6° C ! C’est incroyable. C’était extrêmement rare quand je suis arrivé en Norvège il y a quatorze ans.
J’ai pu constater aussi à quel point la banquise a fondu ces dernières années. Quand j’ai commencé à naviguer le long des côtes du Spitzberg, nous n’étions jamais sûrs de pouvoir atteindre la côte Nord, alors que désormais elle est parfois libre de glace en plein hiver. Et il n’y a plus de banquise durant l’été à l’exception de la côte Sud-Est.
La fonte de la banquise n’est pas si problématique pour l’ours blanc contrairement à ce qu’on peut entendre fréquemment. C’est la thèse de nombreux scientifiques et spécialistes de l’ours blanc. Les glaces pluriannuelles ont toujours été des zones où ni les phoques ni les ours ne vivent car le phoque ne peut entretenir son puits de respiration sur les vieilles glaces. De ce fait, les vieilles glaces ayant disparu, l’habitat du phoque augmente, et ceci au profit de l’ours. Certes, les ours ont plus de facilités à chasser les phoques sur la glace mais ils peuvent tout à fait le faire depuis les plages. Ils doivent seulement changer leurs habitudes, s’adapter à un environnement en perpétuelle évolution. Par ailleurs, on a déjà prouvé que les ours polaires ont survécu à deux changements climatiques avec disparition des banquises pérennes durant l’été.
Par contre, ce qui tue les ours, ce sont les métaux lourds et la pollution dont nous sommes responsables.
Les changements climatiques sont certes en partie le fait de l’homme mais il ne faut pas oublier qu’on vit une phase de réchauffement. C’est naturel. On a tendance parfois à l’oublier.
La fonte de la banquise conduit à une ouverture de l’Arctique, et je trouve que cela est plutôt positif. Des routes nouvelles apparaissent chaque année. A mon sens, l’ouverture du trafic maritime en Arctique ne se fera pas par les passages traditionnels, mais directement par le pôle Nord, avec appui logistique depuis le Spitzberg et une desserte vers les ports de destination : Amérique et Europe. Ceci évitera des conflits d’intérêt entre les différents pays limitrophes de l’Arctique.
Je ne vois pas pourquoi faire de l’Arctique un sanctuaire, à l’exception peut-être du Spitzberg ou de l’archipel François-Joseph. Il faut accepter l’ouverture de l’Arctique. Par contre, il est primordial d’éviter les erreurs environnementales qu’on a pu faire dans le passé. Il faudra que les pays mettent les moyens pour éviter la pollution liée à l’extraction des ressources en Arctique et au transport maritime. Il faudrait aussi, qu’à l’exemple de l’Antarctique, on interdise le fuel lourd pour la propulsion des bateaux. Je suis confiant. Le Conseil de l’Arctique prend de plus en plus d’importance et s’occupe très sérieusement de ces sujets.
Quels sont vos projets ?
En 2013, je naviguerai le long du Parc National du Nord-Est du Groenland. Ce sera une réplique de l’expédition que j’ai faite en 2011.
Un équipier m’a offert, récemment, un récit en norvégien de la 2ème expédition du Fram menée par Otto Sverdrup*. En 2014, Southern Star s’engagera dans le sillage de la 2ème expédition du Fram, par l’Islande, l’Ouest du Groenland, le nord de la Baie de Baffin, l’archipel canadien, les îles Ellesmere, Devon et Thulé.
Je suis passé deux fois au nord de la Baie de Baffin, en 1999 et 2008, et chaque fois, l’envie de pousser plus au nord, au-delà du 74°N, me démangeait énormément.
Southern Star appareillera de Tromsø à la fin du mois de mai pour quatre mois d’expédition et 9000 milles nautiques. Quatre mois d’aventure pour essayer d’approcher au plus près les quatre ports d’hivernage de la 2ème expédition du Fram, dont Grise Fiord, où se trouvent actuellement France Pinczon du Sel et Eric Brossier. J’espère voir notamment le loup Arctique lors de cette expédition.
J’ai un autre projet dont la presse fera l’écho dans quelques jours. J’ai, au fil des ans, acquis l’intime conviction, à force de côtoyer les banquises et de suivre l’état des glaces en Arctique, que le moment est venu d’y naviguer sur des bateaux de courses océaniques multicoques ou monocoques sans que la prise de risque soit supérieure à celle rencontrée dans les mers Australes par exemple lors du Vendée Globe, du Trophée Jules Verne, ou de la Volvo Ocean Race.
Je travaille depuis plusieurs mois à l’organisation d’une course à la voile sans escale et sans assistance sur l’océan glacial Arctique sur le même modèle que le Trophée Jules Verne. Ce défi d’envergure sera récompensé par un trophée unique qui sera remis au vainqueur à l’arrivée. Le détenteur du Trophée le conservera jusqu’à ce que son record soit amélioré par un autre.
Ce serait un bel hommage rendu à Nansen, premier homme à avoir dérivé avec son équipage à travers l’océan glacial Arctique à bord du Fram, si ce trophée s’appelait le « Trophée Nansen ».
Le départ sera donné sur la ligne déjà mythique Cap Lizard – Ouessant. Les premiers marins qui relèveront le défi, s’engageront sur les passages traditionnels, le Passage du Nord-Ouest et le Passage du Nord-Est, la banquise ne permettant pas encore de couper par le centre de l’océan glacial Arctique. La diminution des banquises dérivantes ouvrira progressivement de nombreuses variantes de parcours pour les bateaux engagés dans le Trophée Nansen. Les voiliers s’engageront dans des voies nouvelles et vierges jusqu’à la disparition complète des banquises pérennes. Le challenge deviendra alors une course en aller-retour en plein coeur de l’océan glacial Arctique avec une obligation de virer à Béring pour que la course reste internationale.
Le Trophée Nansen a pour ambition de devenir un challenge et un événement incontournable dans le circuit des records transocéaniques.
* De 1898 à 1902, le norvégien Otto Sverdrup et 15 membres d’équipage, à bord du Fram, reconnaissent et cartographient 260000 km2 de l’archipel canadien. Quatre années de travail acharné pour dévoiler avec succès l’un des derniers pans de l’exploration géographique. A partir de quatre ports d’hivernage, situés sur la côte sud et ouest de l’île Ellesmere, Sverdrup et ses hommes lancent des expéditions en traineaux à chiens dans les immensités vierges et extrêmes du grand nord canadien pour mener leurs travaux d’exploration. Les îles Axel Heiberg, Amund Ringnes et Ellef Ringnes en témoignent ainsi que les nombreux noms de baies, fjords ou pointes de la région.
Si vous aimez la voile et que vous êtes attirés par les régions polaires, Olivier sera heureux de vous accueillir à bord de Southern Star pour une ou plusieurs étapes de ses futures expéditions, notamment au Nord-Est du Groenland en 2013 ou à l’Ouest du Groenland en 2014. Pour plus d’informations, nous vous invitons à parcourir son site internet : http://www.69nord.com/.